L’épisode pluvieux du 15 août ne manque pas d’originalité
Par sa répartition géographique, il remonte du nord de l’Italie où il arrose copieusement le versant lombard des Alpes. Il traverse la Suisse, dépose des quantités importantes sur le Jura, parfois plus de 100 mm. Ensuite il présente une branche française qui rabat les pluies en direction des Vosges, de la Champagne et il termine son cheminement sur la Flandre française ou belge. La ville de Reims avec plus de 85 mm en 3 jours est la cité la moins habituée à recevoir un tel abat en plein mois d’août. Plus au nord une autre branche a largement arrosé l’Allemagne moyenne.
Les conditions météorologiques qui ont conduit à une telle répartition géographique sont aussi très particulières. La descente froide qui a traversé la France de l’Atlantique à la Méditerranée a apporté des températures hors de saison sur notre pays. J’avais annoncé des températures proches de la gelée blanche sur les plateaux du Massif central dans les bas-fonds de moyenne altitude, un témoignage m’a signalé leur existence dans la matinée du 16 août vers 1000 m d’altitude dans l’est de la Haute Loire. Cet air froid a provoqué une réaction de la Méditerranée, où il s’est rechargé en humidité, puis il est allé la déposer en remontant vers le nord par l’Italie du nord, la Rivièra, la Lombardie, puis les régions que je viens de citer.
Cette humidité a d’abord été rabattue par la descente froide qui provient directement de l’Arctique par la Scandinavie, puis ensuite a été stoppée à proximité de la Manche par la branche descendante de l’air froid qui continuait à débouler du nord. Il est en effet intéressant de constater l’arrêt des précipitations entre Lille ou Bruxelles qui reçoivent plus de 60 mm et les côtes du Pas de Calais, de la Manche septentrionale ou de la mer du nord qui sont peu atteintes par les pluies. Une telle situation est non seulement à contre-saison puisque ces remontées de pluies méridionales sont rarissimes en été, mais en plus, elle présente une trajectoire atypique qui rabat les pluies sur le Bassin parisien par un retour d’est. Il arrive rarement aux pluies Méditerranéennes de remonter jusqu’au Jura et aux Vosges, mais il existe quelques exemples comme l’épisode du 13 novembre 2002. Cette séparation entre une branche allemande qui remonte vers le nord et une autre française rabattue dans le bassin Parisien et le nord parait exceptionnelle. Comme je le signalais dans mon blog, une telle évolution est totalement à contre courant de la géographie des précipitations qui viennent habituellement de l’ouest et presque jamais de l’est avec une telle quantité dans la France du nord ! C’est un peu le serpent qui se mord la queue : la descente froide a provoqué la création des masses pluvieuses quand elle a atteint le sud de l’Europe, puis elle les sépare en deux branches, les rabat sur le Bassin parisien et les bloque à nouveau quand les pluies remontent vers le nord et qu’elles rencontrent à nouveau l’air froid !
Les conséquences hydrologiques d’un tel événement pluvieux ne sont pas négligeables, non en raison de l’importance des crues provoquées, qui sont très inférieures aux inondations des rivières et fleuves affectés mais à cause de l’importance géographique des cours d’eaux concernés et de la forme des crues.
Nous sommes habitués aux montées violentes de petits ruisseaux ou rivières en été qui disparaissent vite en aval, or dans ce cas les niveaux atteints augmentent vers l’aval sur les principales rivières. C’est le cas sur la Saône qui ne monte en amont que de 0,90 m par rapport au niveau antérieur à Auxonne pour atteindre la cote de 1,1 m, mais qui dépasse 3 m à Verdun sur le Doubs avec une hausse de 2 mètres et même une montée de 2,10 m à Tournus. Le même phénomène est visible sur l’Ognon qui n’augmente que de 0,80 m en amont à Montessus, mais de 2,20 m à Pesmes avec une côte de 2,84 m. Une telle évolution qui concentre les eaux vers l’aval est plus caractéristique des crues océaniques d’hiver que de celles brutales de l’été.
Ces sont les cours d’eaux d’une grande partie de l’Europe qui ont réagi. Même s’il n’est pas possible de suivre la situation dans tous les pays concernés, l’axe des principales montées des rivières suit grossièrement celui du maximum des précipitations. C’est ainsi que sur le versant méridional des Alpes, le Tessin est monté de plus de 1,60 m et le débit de la Maggia à Locarno est passé d’un étiage proche de zéro à environ 160 m3s. Sur les rivières suisses, on constate aussi de belles montées. La Sarine passe de 10 à 70 m3s, le Rhin à Rheinfelden passe de 1400 à 2200 m3s et la Reuss de 240 à 400 m3s.
En France, les plus hautes montées par rapport au niveau antérieur affectent le bassin du Doubs avec plus de 2,50 m à Besançon pour une cote à l’échelle de 4,1 m. L’ognon connaît aussi une belle intumescence. Quand on ajoute les apports de la Loue, la Saône connaît en aval une montée d’ampleur déjà présenté.
Sur les bassins lorrains, La Moselle présente une belle montée, maximale à Toul avec une hausse de 2 mètres par rapport au niveau antérieur. Au contraire la Meurthe est moins affectée et la Meuse ne réagit pas (à peine 30 cm), peut être en raison de la forme de son cours, un tronc sans affluents majeurs. Toutes ces rivières lorraines présentent deux intumescences nettement séparées, que l’on ne rencontre que sur ces bassins, qui semblent avoir subi deux averses successives.
Dans le nord du Bassin parisien, la réaction de l’Aisne est maximale à Blesmes (+80 cm) et celle de l’Oise à Sampigny (+1,20m). Dans le Nord, la Sambre n’augmente que de 60 cm à Maubeuge et la Lys canalisée de 30 cm. Ces montées sont les plus significatives des bassins concernés et semblent suivre l’axe de la pluviométrie la plus abondante. Le maximum se situe en outre dans la nuit du 17 au 18 car ces zones sont affectées en retard par rapport aux autres bassins plus à l’est.
Aucune de ces intumescences n’a été suffisante pour provoquer de véritables inondations, mais elles sont intéressantes au niveau hydrologique par le nombre des bassins majeurs concernés. Cette particularité est beaucoup plus significative d’une crue océanique hivernale répandue sur d’immenses espaces.
Par ailleurs cette montée des eaux se situe à la mi-août, le moment où ces rivières connaissent habituellement leur étiage d’été. Cette situation a certainement contribué à limiter la montée des niveaux, une grande partie des précipitations servant à saturer des sols assez secs en cette saison ou à s’infiltrer en direction des nappes. Ceci explique aussi que ces petites crues s’étalent très vite dès que l’on quitte vers l’aval la zone des fortes précipitations. Par exemple, de la montée de l’Oise, il ne subsiste presque rien à Creil. Il en est de même pour la Moselle à Thionville.
Cette montée des eaux de la mi-août a provoqué une collision administrative curieuse. Je vous avais cité dans une précédente chronique, 32 départements où des mesures de restrictions de l’eau, de plus ou moins grande importance, avaient été prises. Ce nombre avait été porté à 45 pendant la première quinzaine d’août. Certains départements ont donc connu à la fois, une vigilance pour sécheresse avec mesures restrictives et une autre plus faible « jaune » pour inondation. Le cas le plus caricatural semble celui du département du Doubs qui a été affecté par les montées de la rivière du même nom, de la loue, de l’Ognon et de la Saône. Les autres cas semblent ceux de la Marne, de l’Aisne ou de l’Aube qui ont présenté les totaux pluviométriques les plus élevés dans le Bassin parisien.
On peut aussi s’étonner qu’une grande partie du bassin de la Loire présente des mesures de restrictions d’eau alors que le soutien de l’étiage n’avait pas encore commencé le 13 août au barrage de Villerest qui restait plein. Les soutiens du barrage de Naussac avaient à peine débuté depuis le 16 juillet et il restait 176 Mm 3 le 13 août dans la retenue, plus de 90% du maximum.
Voilà un épisode pluvieux qui ne manque pas de piment et une collision sécheresse, et petite crue des rivières qui peut surprendre et réveiller le chat à la mi-août.
Gérard Staron vous donne rendez vous samedi prochain sur les ondes de Radio Espérance, le texte de cette chronique étant repris sur mon blog : gesta.over-blog.com. Bonne semaine.