La chanson que je vous interprète aujourd’hui a de quoi surprendre. !
Intitulée « Liberté Egalité Fraternité » on pourrait la croire écrite par quelques révolutionnaires à la gloire de la République. Non, ses auteurs sont deux religieux Frère Louis pour les paroles, et Frère Adrien pour la musique, aux moments des heures les plus dures du conflit entre l’Eglise et l’Etat sous la Troisième République. Le sous titre est sans équivoque « Chant patriotique et catholique ». La partition trouvée en fouillant dans mes archives familiales, semble d’origine régionale puisqu’elle a été imprimée à Saint Etienne, 40 rue de Lyon … seule mention qui permet de la localiser !
Cette chanson revendique les valeurs de Liberté, Egalité et Fraternité comme étant chrétiennes. Le contexte historique permet de comprendre une devise utilisée à contre-emploi. Les catholiques revendiquent la liberté, l’égalité à une époque où l’église subit les attaques de la « Franc-maçonnerie » appelée ici « la secte » et de la coalition radicale socialiste au pouvoir depuis 1899.
Au travers des diverses allusions de nature historique, la chanson dénonce les discriminations subies par les religieux lors de l’application de la Loi sur les Associations de 1901. Seules les quelques congrégations mentionnées expressément dans le Concordat de 1801 signé par Bonaparte et le Pape Pie VII sont autorisées, toutes les autres sont refusées. Le ministère Radical-socialiste dirigé par Emile Combes expulse donc du territoire national une vingtaine de milliers de religieux pourtant de nationalité française. Dans une photo de nombreux manuels d’histoire, les moines de la Grande Chartreuse sont conduits encadrés par les gendarmes jusqu’à la frontière espagnole. Le clergé régulier expulsé reviendra majoritairement à la fin de la guerre 1914-1918.
Le document n’est pas daté comme la plupart des partitions anciennes, mais on peut le situer au pire moment de la crise entre 1902 et 1904, bien avant la Loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905 sous le ministère Rouvier et des inventaires qui ont suivi en 1906 sous le ministère Clémenceau.
Il est possible de trouver quelques églises qui portent des mentions « Liberté, Egalité et Fraternité » comme sur le tympan du portail de la cathédrale d’Elne dans les Pyrénées orientales, mais ces bâtiments, devenus biens nationaux sous la Révolution ont été utilisés ensuite pour diverses fonctions par l’état ce qui explique cette mention. Par contre cette revendication de la devise de la République par les catholiques à un moment tendu de l’histoire religieuse de notre pays fait de cette chanson un document historique tout à fait exceptionnel !
Gérard Staron