Avoir des enfants dans l’ouest permet de faire une halte de prière au mont Saint-Michel. Ce haut lieu de la chrétienté présente une particularité hydrologique tout à fait surprenante aujourd’hui.
A une époque où certains milieux scientifiques annoncent que la hausse du niveau de la mer menace de recouvrir de nombreuses îles dans le monde, le mont Saint Michel aux limites de la Bretagne et de la Normandie perd son caractère maritime. Depuis de nombreuses années, les marées qui viennent lécher le pied des remparts du célèbre piton rocheux sont de moins en moins nombreuses et des travaux pharaoniques, avec des grues très disgracieuses qui masquent le mont quand on arrive par Pontorson, tentent de redonner au célèbre mont son caractère insulaire.
Le mont Tombe, où il y a 1300 ans, Saint Aubert a construit un sanctuaire en l’honneur de Saint-Michel est un rocher de granulite, une forme de granite très dure mise en saillie au cours des millénaires par l’érosion. Ce piton est situé dans une baie qui présente un estran particulièrement grand. Ce dernier qui désigne la zone découverte entre la marée haute et la marée basse peut atteindre une vingtaine de kilomètre. L’amplitude entre les grandes marées et celles de mortes eaux atteint 15 mètres avec plus de 6 mètres en situation moyenne. C’est pour cette raison que la légende veut que la marée monte au rythme d’un cheval au galop, en réalité une vitesse moyenne de 62 mètres par minutes, soit 3,7 km/h, de quoi surprendre plus d’un imprudent aventuré dans la baie.
Cette particularité des marées est liée à deux aspects géographiques. La faible pente du plateau continental, partie des fonds marins qui continuent le continent à proximité de la côte, forme un plan incliné ou les sédiments argilo-calcaires surmontent la pénéplaine du précambien. Ceci forme une immense zone où la mer et continent se séparent difficilement.
La baie du mont Saint-Michel connaît une amplitude très forte des marées en raison du cumul de deux mouvements. La marée est habituellement semi-diurne avec deux basses et deux hautes par journée. Sur une mer comme la Manche, elle entre d’un côté pour sortir de l’autre, mais le flux est dévié comme tous les fluides à la surface de terre par la rotation de notre planète et il s’ajoute un tourbillon secondaire qui provoque de nouvelles marées. Ces dernières viennent, soit se retrancher, soit s’ajouter à l’amplitude. C’est ainsi qu’il existe des zones de la Manche où l’amplitude est très faible, ce qui est très pratique pour un port et d’autres au contraire où elle est extrême comme pour la baie du mont Saint-Michel.
Ces deux particularités géographiques ont permis de différencier plusieurs milieux dans la baie :
Cette configuration d’immenses espaces disputés entre la mer et la terre sur des alluvions très fertiles est très favorable à la création de polders protégés par des digues, c’est ainsi que 2450 ha ont été récupérés depuis le XIXème siècle dans la baie pour l’agriculture. On les rencontre à l’aval de Pontorson.
La zone de balancement des marées comprend deux secteurs, la slikke recouverte régulièrement et le schorre atteint exceptionnellement. Ce dernier milieu a été colonisé par les fameux prés salés et leur élevage d’ovins, ce qui a contribué à fixer les alluvions et à rendre ces zones de plus en plus inaccessibles aux marées. On constate d’ailleurs parfois un petit talus en bordure de ces herbus qui s’approchent de plus en plus prêt du mont et commencent à l’enserrer. J’ai pu constater cette avancée depuis 50 ans. L’espace susceptible d’être atteint par la mer au pied du mont s’est réduit.
Faut-il pour autant effectuer des travaux pharaoniques ?
En plagiant, la fameuse formule « Dans sa folie, le Couesnon, a mis le Mont, en Normandie » pourrait devenir, «dans sa folie, le Couesnon, rendra-t-il au Mont, son hydrologie ? »
Les travaux actuels de construction du barrage du Couesnon tentent d’utiliser la différence entre l’arrivée et le retrait de la marée haute. Quand elle arrive, l’eau présente un front homogène qui ressemble à l’avancée d’une armée de fantassin alignés. Quand elle se retire, au jusant, l’eau se concentre dans des chenaux pour rejoindre le large. C’est à ce moment que, comme une chasse d’eau, il y a un nettoyage qui entraine les sédiments.
A titre d’exemple, c’est ce mécanisme qui maintient intact l’accès du bassin d’Arcachon à l’océan et nettoie régulièrement le passage entre la dune de Pyla et le Cap Ferret en chassant le sable que les vents tentent d’accumuler. Autour du Mont Saint Michel, ce nettoyage est très faible en raison de la pente réduite des chenaux de marées qui serpentent dans la baie, mais aussi des rivières comme le Couesnon et la Seleune qui proviennent de reliefs surbaissés. L’Union Européenne, L’état et les collectivités locales veulent exacerber ce processus de nettoyage en réalisant actuellement le barrage sur le Couesnon situé deux kilomètres en amont du Mont pour un coût de 164 millions d’euros.
Avec l’aide de 8 vannes, il s’agit d’accumuler de l’eau en amont du barrage au moment du flot de marée haute, l’eau du fleuve d’abord retenue, puis l’eau de la mer s’ajoute en sur verse.
Après une phase d’attente de 3 heures10 minutes, à la fin du jusant, soit de la baisse de la marée, les vannes du barrage devraient s’ouvrir progressivement pour provoquer une chasse d’eau dont le but est de nettoyer la baie et d’empêcher les sédiments de continuer à s’accumuler.
Cet aménagement pose deux questions :
La première, aujourd’hui, il serait inconcevable d’effectuer un ouvrage sans prendre en compte le passage des poissons. La difficulté est qu’il faut le concevoir de façons différentes dans les phases d’accumulation, puis dans celles de lâcher. Pour ce faire, il a été conçu des écluses à poissons particulièrement complexes.
La seconde question porte sur l’accès au mont par les touristes et pèlerins. Comme souvent aujourd’hui, il est de bon ton d’accuser l’automobile avec deux aspects : la digue qui relie le mont au continent et les parking payants situés dans le domaine supposé maritime et déjà éloignés d’un kilomètre environ au pied du coté oriental de la digue. Ils sont aussi suspectés d’avoir facilité l’accumulation des sédiments et de réduire l’aspect insulaire et maritime du Mont. D’autres projets consisteraient à transformer la digue actuelle en pont, d’éloigner les parkings pour automobiles vers l’intérieur, de faciliter l’accès ferroviaire par TGV à partir de la gare de Pontorson avec la mise en place d’une navette.
Même si le jour de ma visite les locaux annonçaient « qu’il n’y avait personne », la ruelle d’accès était déjà entièrement couverte de visiteurs. Même si pour un lieu de recueillement, il est difficile de trouver le silence au milieu des vociférations de populations d’origines contrastées, à quoi servirait de multiplier les obstacles pour l’accès au Mont ?
Un mont particulièrement paradoxal, une île qui cherche à retrouver la mer plus souvent à ses pieds, quand d’autres annoncent que la montée du niveau des océans menace de submerger beaucoup d’autres îles.
Rendez-vous samedi prochain sur les ondes de Radio Espérance, texte repris sur zoom 42 .fr et ce blog
Gérard Staron http://pagesperso-orange.fr/climatologie.staron