Chronique N°70 du 16/2/96 sur Radio Espérance, texte d’origine
Alors que beaucoup de vacanciers vont s’élancer sur les pistes, il convient de savoir comment un petit flocon a pris tellement d’importance dans l’économie de nos montagnes tempérées.
On est en effet passé d’une société rurale montagnarde où la neige était un handicap, à une valorisation au point d’en faire la principale activité.
La neige était autrefois considérée comme un obstacle aux communications, ce qui explique l’isolement des vallées montagnardes. Chacune de ces vallées constituait un milieu fermé à l’écart pendant de longs mois d’hiver. Les conséquences sont encore visibles dans le paysage avec les particularités de l’habitat montagnard, des tavaillons de bois des façades alpines au mazot des greniers en bois sur disque de pierre du Valais suisse. Il fallait construire les habitations à l’écart des couloirs d’avalanches et récupérer le plus d’ensoleillement possible en étalant les chalets sur les pentes de l’adret bien exposé. Dans les zones de moyenne montagne, les congères sont le principal obstacle aux communications.
L’isolement par la neige obligeait à stocker des quantités énormes de bois pour le chauffage, de fourrages pour faire face aux besoins hivernaux du bétail, ce qui explique le volume des greniers et granges qui enveloppent le haut des anciennes habitations de montagne comme dans le Jura. Des balcons étagés face au sud permettent la fin du séchage des fourrages en raison d’un climat humide. L’isolement explique aussi la spécialisation de l’élevage montagnard dans la fabrication de fromages, pour utiliser le lait de l’alpage estival difficile à exporter. Le plus grand nombre des appellations contrôlées fromagères, si on exclut la Normandie, sont situées dans des zones d’altitude : Comté, Morbier ou Mont d’Or du Jura, Reblochon, Tome de Savoie, Beaufort des Alpes, Saint-nectaire, Cantal ou Fourme du Massif central et d’autres. Les troupeaux occupaient l’alpage déneigé en été, pour se replier dans les étables de la vallée en hiver. Les rythmes de la vie humaine dépendaient de la neige et, dès les premiers flocons, la société passait d’un état d’activité intense à la léthargie hivernale. Pour faire face à cet isolement certaines régions avaient développé un travail à domicile ainsi sont nés l’horlogerie ou le travail du bois dans le Jura dont il subsiste des traces même si l’activité s’est transformée avec, par exemple, le jouet. On pourrait aussi citer les petits personnages sculptés du Queyras et tant d’autres activités disparues ou non.
Au XIXème siècle, la montagne s’est ouverte aux communications modernes avec l’aménagement des routes des cols à l’époque napoléonienne (celui du mont Cenis ou des Saint- Bernard petit et grand). Elle a été atteinte par les chemins de fer, avec les tunnels des percées alpines. Le Fréjus a été le premier inauguré en 1871 suivi du Saint-Gothard(1882), du Vorarlberg(1884) et du Simplon (1906). Ont suivi ensuite les chemins de fer adaptés à la pente, avec les crémaillères comme celles de la Jungfrau en Suisse ou du Montenvers à Chamonix, ou les funiculaires. La montagne s’est alors vidée de sa population rurale.
Il a fallu un certain temps avant que la neige ne devienne attractive et permette de maintenir ou de faire revenir les hommes à la montagne.
Progressivement, la montagne alpine a pu créer la spécificité de ses produits touristiques :
- Au début la beauté des sommets montagnards a été découverte l’été par ceux qui venaient prendre les eaux des stations thermales voisines : Aix les bains, Luchon, Bad Isch, Bad Gatien et bien d’autres.
- Ensuite le docteur Spranger a découvert à Davos la rareté de la tuberculose en altitude en raison de l’air sec et ensoleillé de la partie centrale du massif et la montagne s’est couverte de sanatorium et de préventorium.
- Enfin, les sports nordiques de glace sont introduits. Les skis seraient apparus pour la première fois en 1879 à Chambrousse, chaussées par un grenoblois d’adoption Henri Duhamel, selon l’ouvrage de Christian Charles et Michel Wayr sur les pays de la neige.
Les premiers utilisateurs de ces planches ont été les militaires avec les bataillons de chasseurs alpins et les alpinistes, ce n’est qu’après la première guerre mondiale que cet outil a été adapté aux Alpes et au tourisme. En effet, la première descente, le Kandahar, n’a été organisée qu’en 1911, le premier slalom en 1922 à Mürren dans l’Oberland bernois. Les premiers championnats du monde n’ont eu lieu qu’en 1931. Les disciplines alpines n’ont été introduites aux jeux olympiques qu’en 1936 aux jeux Garmisch-Partenkirchen, elles ne figuraient pas aux premiers jeux de Chamonix en 1924
A ce moment là, sont nés les premières stations de sport d’hiver, d’abord à partir de villages existant comme Val d’Isère ou Morzine, ensuite sont construites dans les années 60 puis 70 les usines à ski spécialisées dans les alpages ou aux sommets de la forêt.
Les Alpes du nord ont été favorisées dans cette utilisation de la neige. La régularité de l’enneigement est meilleure. Le massif est plus proche des zones fortement peuplées et clientes de l’Europe du nord. Plus les sports d’hiver sont arrivés tôt, plus ils ont pu s’intégrer dans un tissu rural encore actif et peuplé, cela s’est produit en Suisse, en Autriche et dans la Haute Savoie française. Ces régions détiennent la plus grande partie des stations formées à partir des villages existants. Elles se sont fondues dans le paysage.
Dans le reste des Alpes du nord, Savoie et Dauphiné, l’essor des sports d’hiver, un peu plus tardif, a concerné une montagne déjà en grande partie dépeuplée et la plupart des stations en Maurienne, en Tarentaise et en Dauphiné s’est construite ex-nihilo à l’écart des villages anciens trop dépeuplés.
Enfin les autres massifs montagneux ont connu encore plus tardivement et partiellement le phénomène. La montagne était trop dévitalisée. Leur éloignement des grandes agglomérations de la France ou de l’Europe du nord, la moins grande régularité du manteau neigeux expliquent le moindre développement et surtout son irrégularité géographique dans les Alpes du sud, les Pyrénées, le Jura, les Vosges et surtout le Massif central.
Cette histoire des sports d’hiver n’est qu’une illustration de l’impact énorme de la climatologie sur la vie des hommes qui la subissent trop souvent.
Commentaire :
Toujours d’actualité
Cet hiver, l’enneigement a encore plus nettement favorisé les Alpes du nord par rapport aux autres massifs. La neige tombée en Novembre et décembre est restée sur les reliefs au dessus de 2000 m en janvier et février, alors qu’elle disparaissait en dessous. Depuis le mois de mars les nouvelles chutes ont permis de reprendre l’activité touristique dans de nombreuses stations de moyenne altitude.
Gérard Staron